Par Rémi Kohler
L’épidémiologiste et ingénieur du corps sanitaire américain, le Major George A. Soper (1870-1948) est connu pour avoir identifié la première porteuse saine de la fièvre typhoïde (Mary Mallon) ; mais c’est son article sur la grippe espagnole de 1918-1919 qui mérite aujourd’hui relecture (Fig. 1). Lisez-le et oubliez que celui-ci parut il y a 100 ans ! Il reste d’une actualité étonnante à l’heure de la pandémie Covid19 ….
Soper fut l’un des premiers à tirer les leçons du désastre sanitaire de la grippe espagnole. Dès 1919, face à l’incapacité de dégager un point de vue consensuel sur la nature de cette épidémie, il synthétise en quelques pages les connaissances et les débats de l’époque sur le sujet.; c’est un document prémonitoire sur la nature des maladies pandémiques dans un monde interconnecté ….
« Inondations, famines, tremblements de terre et éruptions volcaniques ont joué leur part en matière de destruction humaine, dont l’entendement peine à mesurer l’horreur, et pourtant, jamais auparavant ne s’était produite une catastrophe à la fois aussi soudaine, aussi dévastatrice et aussi universelle. Certaines ont été aussi étendues mais pas aussi mortelles, d’autres aussi mortelles mais plus circonscrites Le plus stupéfiant dans cette pandémie, c’est le mystère total qui l’entoure. Nul ne semble savoir ce qu’est la maladie, d’où elle vient, ni comment y mettre fin. Les esprits anxieux se préoccupent de la survenue d’une nouvelle vague.”
Il dénonce l’indifférence avec laquelle ces infections respiratoires sont habituellement regardées, cause de notre incapacité à nous en prémunir ; faisant presque figure de lanceur d’alerte, Soper insiste par ailleurs sur la grande insouciance de la population qui contribua à la propagation exponentielle du virus. Pour lui, les mesures d’autoprotection constituent le principal levier d’action pour empêcher la propagation des épidémies. Il s’attaque à l’analyse détaillée de l’ensemble des cofacteurs afin de mieux appréhender les causes de la maladie et l’éradiquer.
Déjà, il proposait le confinement :
« Le propre des maladies respiratoires est que beaucoup de porteurs sont eux-mêmes épargnés ou se jugent victimes d’un rhume. Dès lors, le confinement total, mesure drastique, tient à ce qu’il est impossible de connaître tous les porteurs du virus mais aussi de savoir qui est immunisé »
Et il édictait, en conclusion de son article, douze règles, diffusées par le service des armées, préfigurant nos « gestes barrières » pour permettre d’éviter la mise en suspens de toute vie sociale : pas de rassemblement inutile, respirer par le nez, se laver les mains… ; la douzième était la suivante : « Quand l’air est pur, respirez-le au maximum – et à pleins poumons ! »
Aujourd’hui encore, certaines des interrogations de Soper demeurent sans réponses précises, notamment en ce qui concerne l’impact des variations climatiques sur l’évolution des virus.
