Publié le 18 novembre 2020 – Julien THIBERT- Le TOUT LYON
Directeur du laboratoire de virologie Est des Hospices Civils de Lyon (HCL) et membre du Conseil scientifique, Bruno Lina décrypte les origines et les issues possibles de la crise de la Covid-19. Ses propos pragmatiques, mais mâtinés d’un certain humanisme, démontrent toute la complexité de la gestion de la pandémie. Des lueurs d’espoirs subsistent même si le professeur lyonnais prédit, à demi-mots, que l’hiver sera long.
Pourquoi ce virus du Covid-19 inquiète-t-il autant comparés à ceux avec lesquels, pourtant, nous vivons ?
« Il faut admettre que la nature nous prend par surprise avec l’émergence de ce type de virus d’origine animale. Cette crise est historique et majeure, et aura impacté le monde de manière considérable. Ceux qui affirment qu’il ne se passe rien vivent sur une autre planète… peut-être celle d’Internet ! Nous sommes confrontés à un enjeu sanitaire mondial qui sera considéré comme un cataclysme similaire à celui de la grippe espagnole en 1918.
La mortalité reste très significative. On ne connaît pas d’autres pathogènes infectieux qui donnent des niveaux de mortalité aussi élevés que ce que l’on voit en France aujourd’hui. Le pays enregistre en moyenne 700 000 décès par an, soit près de 60 000 décès par mois. Au cours du mois de mars, ce nombre de décès a été plus que doublé par l’épidémie, à l’échelle française.
On ne peut donc pas dire que le virus n’a pas d’impact. Cela représente une hausse de 20 % sur le mois d’avril. C’est astronomique ! A tel point d’ailleurs qu’un certain nombre de pays ne sont plus en capacité de prendre en charge les corps des personnes décédés et où il existe des fosses communes. Imaginez cette situation en France ! »
« J’ai toujours dit que nous avions notre avenir entre les mains »
Vous avez expliqué que l’on pouvait éviter un nouveau confinement total. Qu’en est-il exactement ?
« Je continue à le penser. Le confinement reste une arme terriblement efficace pour contrer la circulation du virus et c’est un outil de distanciation sociale. C’est toute la difficulté du confinement et de l’acceptation de celui-ci. C’est-à-dire qu’on demande aux gens de ne plus se voir. Ce qui n’est pas simple d’autant qu’on ne peut pas leur dire quand ils pourront se revoir et dans quelles conditions.
Ce que l’on sait, c’est que certaines mesures prises aujourd’hui sont relativement bien acceptées et adoptées par la population, comme le port du masque et d’autres réflexes sanitaires. Il perdure toutefois des comportements à risque qui impactent tout le monde. Si l’on applique correctement ces mesures barrières, d’hygiène et de distanciation sociale, sans les lever jamais, le virus ne se transmet plus. Il est alors possible de contrôler sa circulation.
J’ai toujours dit que nous avions notre avenir entre les mains. L’accumulation de petites failles et l’effet climatique du froid ont entraîné l’apparition d’une nouvelle vague épidémique. Aujourd’hui, si l’on veut préserver ce merveilleux outil qu’est l’hôpital, il est nécessaire de réduire le nombre d’infections. Nous nous inscrivons dans la durée, au moins jusqu’à la fin de l’hiver. »
« La perspective du vaccin ne change pas grand chose dans la gestion de l’épidémie actuellement »
Que vous inspire l’annonce, par Pfizer et BioNtech, de la sortie d’un éventuel vaccin ?
« La perspective d’un vaccin, nous l’avons depuis quelques mois déjà. Le calendrier se précise car un certain nombre de stades de développement sont maintenant cadrés, avec des échéances concrètes par rapport aux essais de phase trois.
Cela ne change pas, sur le fond, grand-chose dans la gestion de l’épidémie actuellement en France. Entre l’aspect réglementaire, la fin des essais et les évaluations des dossiers, nous restons sur un calendrier de vaccination qui pourrait s’établir au cours du deuxième semestre 2021. »
Cette annonce peut-elle avoir une influence sur les choix politiques en matière de confinement ?
« Cela ne change pas non plus grand chose sur ce point, car on se prépare de toute manière à l’organisation d’une vaccination. Il y a des éléments logistiques qui se posent, notamment par rapport à la conservation de ce vaccin à – 80 C°. Je rappelle qu’il existe huit autres vaccins à l’essai, en phase trois pour lesquels les échéances vont être relativement courtes.
Il y aura vraisemblablement une succession d’annonces, sans oublier d’autres vaccins en cours de développement et dont les résultats peuvent être aussi intéressants. C’est une bonne chose que d’avoir un panorama, et donc un choix parmi les vaccins disponibles. Mais il ne faut pas imaginer une campagne de vaccination pour janvier 2021. »
« Le redémarrage économique conditionne la santé des Français »
L’équilibre, entre les mesures sanitaires et le maintien de l’économie, est-il un exercice compliqué à résoudre ?
« Je ne porterai pas de jugement sur les décisions politiques prises. En revanche, dans mon rôle de conseiller scientifique, j’ai clairement identifié que si nous voulions que ce deuxième confinement réussisse à tous les niveaux, il ne pourrait pas se faire dans les mêmes conditions que le premier. Nous avons aussi expliqué que le coût sociétal devait être atténué par le maintien d’un certain nombre d’activités économiques. Cela créer des frustrations, je pense aux commerces jugés « non essentiels ».
Il est clair que le monde politique n’abandonnera pas la dimension sanitaire. Ce comportement humaniste est normal, surtout lorsqu’on regarde les pays qui en ont décidé autrement comme le Brésil ou les Etats-Unis et où on peut se rendre compte des conséquences directes de ces comportements purement économiques. Ce deuxième confinement – perçu comme allégé par la population, même si certains le pensent trop lourd – a été dimensionné de façon à maintenir une activité économique.
C’est important, car le redémarrage économique conditionne la santé des Français. Cette décision soulage la perception du confinement mais a des conséquences majeures sur l’hôpital et les services de soins. »
« Beaucoup de fantasmes gravitent autour du Conseil scientifique »
Peut-on parler de « choc des cultures » entre le gouvernement et Conseil scientifique ?
« Beaucoup de fantasmes gravitent autour du Conseil scientifique. Je rappelle que ses 14 membres sont tous bénévoles et ne bénéficient d’aucun soutien financier. Nous organisons des réunions quotidiennes de plusieurs heures entre nous et auxquelles les politiques n’assistent pas. La relation au monde politique ne se fait que par l’intermédiaire du président du Conseil qui échange fréquemment avec l’exécutif.
Nos échanges sont ouverts et sans langue de bois. Mais lorsque le Conseil scientifique à un message à passer à l’exécutif, il le fait, et inversement. Nos relations sont simples et ne sont pas imprégnées de notions de hiérarchie. Tout l’enjeu est d’éviter que le conseil scientifique se mette hors-sol. Nous y veillons, car nous restons des hommes et femmes de terrain. »
L’expérience Covid-19 aura-t-elle ouvert une boîte de Pandore sur la réalité virale du monde ?
« Il faut comprendre qu’il y aura d’autres pandémies, mais je ne pourrais pas vous dire quand elles surviendront. Le réservoir animal comporte un nombre de virus qui ont la capacité de diffuser les épidémies de manière excessivement élevées. Occasionnellement, ce réservoir peut fournir un nouveau candidat, qui, de temps en temps, fonctionne, ou pas. Le Sras en 2003 ou les épisodes de Mers depuis 2012 sont des introductions ratées.
Inversement, le Sars Cov-2, ou la grippe H5N1 sont des introductions réussies. Le niveau de la réponse doit est proportionnel au risque analysé. Nous avons aujourd’hui des données qui nous permettent de mieux comprendre le risque. Il faut bien comprendre que la situation actuelle de la Covid-19, comme celles passées avec d’autres virus, avec ses émergences, n’est pas une conséquence du monde moderne. C’est un risque auquel l’humanité est exposée depuis de nombreux siècles. Et on le sera encore pour très longtemps. »
Ses dates clés
2020 – Membre du conseil scientifique
2006 – Directeur du laboratoire de virologie Est, Hospices Civils de Lyon
2005 – Expert auprès de l’OMS pour la surveillance des virus influenza
1999 – Directeur Centre national de référence sur la grippe et de l’unité de recherche Virpath